Un engagement clair plutôt que du greenwashing

Pourquoi nous devons maintenant poser les bons jalons au Luxembourg et en Europe pour un secteur financier climatiquement neutre.

Des accords, stratégies et plans d’action visant à rendre le monde financier plus durable – il y en a assez. Avec l’accord de Paris sur le climat de 2015, la communauté internationale s’est mise d’accord pour rendre les flux financiers compatibles avec un scénario de réchauffement climatique nettement inférieur à 2°C, voire à 1,5°C. L’UE a ensuite lancé de nombreuses initiatives législatives visant à rendre le secteur financier plus respectueux du climat.

Mais plus de 6 ans après la signature de l’accord de Paris sur le climat, le bilan intermédiaire est loin d’être satisfaisant. Dans un rapport spécial publié en septembre 2021, la Cour des comptes européenne émet de nombreuses critiques à l’égard de l’UE. Les coûts sociaux et les coûts liés au climat et à l’environnement ne seraient toujours pas suffisamment pris en compte dans les prix, ce qui rendrait les investissements durables peu intéressants pour de nombreux investisseurs. Le manque de transparence est également critiqué par les auditeurs, car il conduit à du greenwashing. Le secteur financier est en outre exposé à des risques financiers considérables qui ne sont pas encore suffisamment divulgués.[1]

Du pain sur la planche

Malgré les efforts du gouvernement, comme par exemple la Sustainable Finance Strategy présentée il y a environ un an, le Luxembourg a encore de la marge en matière de durabilité du secteur financier.

Une analyse de la Banque centrale (BCL) montre qu’en 2020, la place financière était exposée à des risques financiers liés au climat plus élevés qu’en 2016. Dans le seul secteur bancaire, la valeur totale des crédits accordés à des entreprises issues de secteurs à forte intensité de carbone a augmenté de 32% entre 2016 et 2020. La BCL en conclut que les banques ne mettent en œuvre que très timidement, voire pas du tout, des stratégies visant à atteindre la neutralité climatique. C’est pourquoi les autorités sont maintenant appelées à veiller à ce que les banques saisissent et réduisent mieux les risques financiers liés au climat à l’avenir.[2] L’autorité de surveillance CSSF écrit également dans son analyse annuelle que trop d’acteurs financiers ne garantissent toujours pas une publication satisfaisante des informations relatives au climat et à l’environnement.[3]

Cela relativise les chiffres d’une étude de l’industrie luxembourgeoise des fonds, selon laquelle la place financière serait en tête de la gestion de fonds durables.[4] En effet, le Luxembourg a pu se faire un nom dans le domaine de la finance verte au cours des dernières années et s’est récemment classé cinquième dans le Global Green Finance Index 2021. Par rapport au volume d’investissement total de la place financière, la part de la finance durable reste toutefois marginale et la transparence des acteurs financiers laisse toujours à désirer. Environ 29% des fonds intègrent des critères de durabilité dans leur stratégie d’investissement, tandis que seuls 4% des fonds investissent également en fonction d’objectifs de durabilité plus concrets.[5] On ne sait pas combien d’entre eux investissent également en accord avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.

En effet, il manque toujours un inventaire plus précis de l’empreinte écologique de la place financière. Pourtant, c’est précisément ce qui serait utile pour évaluer plus précisément les progrès des efforts réalisés ces dernières années. Une analyse réalisée avec l’outil “Paris Agreement Capital Transition Assessment” (Pacta) n’a pas encore été publiée. La Suisse emprunte ici une autre voie et, malgré des résultats peu flatteurs, a publié l’évaluation pour la place financière suisse.[6]

Note : Insuffisant !

Pour que le monde de la finance devienne climatiquement neutre dans toute l’Europe et afin d’établir des normes mondiales, il est indispensable de prendre des initiatives ambitieuses au niveau de l’UE. Deux éléments importants ont été discutés cette semaine à la Chambre des députés : le règlement sur les obligations d’information liées à la durabilité dans le secteur financier (SFDR) et le règlement sur la taxonomie. Le premier vise à faire en sorte que les prestataires de services financiers publient des informations plus précises sur la durabilité de leurs produits. Depuis le 1er janvier 2022, toutes les obligations de publication du règlement SFDR sont en vigueur. La mise en œuvre de ces nouvelles règles doit maintenant être contrôlée par les autorités de surveillance et, le cas échéant, l’application cohérente des règles doit être assurée.

Le règlement sur la taxonomie définit quant à lui les activités économiques qui peuvent être considérées comme durables et donc soutenues par les États. L’objectif : éviter le greenwashing et encourager les investissements dans les technologies d’avenir qui nous rapprochent réellement de la neutralité climatique. Mais c’est justement là que se situe maintenant le problème. En décidant de qualifier l’énergie nucléaire et le gaz fossile d’activités durables, la Commission européenne a volé toute crédibilité à la taxonomie et remis en question sa base scientifique.

La question ici n’est pas, comme cela est souvent présenté par les partisans de l’énergie nucléaire et du gaz fossile, de savoir si ces deux sources d’énergie doivent continuer à être utilisées jusqu’à ce qu’elles puissent être définitivement remplacées par des énergies renouvelables. Il est clair que des technologies de transition seront nécessaires et que le gaz continuera à jouer un rôle dans les années à venir en tant qu’énergie de transition lorsqu’il n’y a pas assez d’électricité renouvelable. Mais qualifier ces deux sources d’énergie de durables, compte tenu de leurs conséquences importantes pour la nature et le climat, revient à nier la réalité. Cette décision encourage les investissements nuisibles au climat et à l’environnement, alors que cet argent est absolument nécessaire pour développer massivement les énergies renouvelables dans toute l’Europe.

Cela est particulièrement problématique pour l’énergie nucléaire. Elle est non seulement beaucoup plus chère que les énergies renouvelables, mais contrairement à l’énergie éolienne et photovoltaïque, la construction de centrales nucléaires prend des décennies, ce qui signifie qu’un renouveau de l’énergie nucléaire serait de toute façon trop tardif pour nous aider à lutter contre la crise climatique. A cela s’ajoutent les risques énormes pour les humains et la nature en cas d’accident ainsi que le manque de sites de stockage sûrs pour les déchets hautement radioactifs.

Si l’énergie nucléaire et le gaz fossile devaient trouver leur place dans la version finale du règlement sur la taxonomie – ce qui semble être le cas actuellement – le Luxembourg devra réagir. Il faudra utiliser le règlement sur la taxonomie dans la mesure du possible de manière à ce que seuls les investissements réellement durables soient soutenus. Cela vaut en particulier pour le taux réduit de la taxe d’abonnement dont les fonds d’investissement peuvent bénéficier s’ils investissent dans des activités respectueuses du climat.

Regard vers l’avant

Le développement économique du Luxembourg s’appuie depuis des décennies sur une place financière stable. Cela a fait ses preuves lors de la crise du Covid. Mais la crise climatique apporte de nouveaux risques et défis auxquels le monde financier doit également réagir. Il ne doit pas devenir un frein en maintenant artificiellement en vie des secteurs nuisibles au climat, mais doit au contraire accélérer activement la transformation vers la neutralité climatique et participer à son développement. Cela ne se fera pas tout seul – la tentation de préférer le profit à court terme à la rentabilité et la stabilité à long terme est actuellement encore trop grande.

La politique est donc appelée à fixer les bonnes conditions-cadres. Pour le Luxembourg, cela signifie mettre en œuvre les initiatives européennes de manière ambitieuse et être un “first mover” en matière de transparence. Les fonds luxembourgeois gèrent au total quelque 5.900 milliards d’euros, ce qui fait du Luxembourg le deuxième site de fonds d’investissement au monde. Nous pouvons et devons donc contribuer largement à accélérer la transformation durable du monde financier.

En effet, la transformation de l’économie offre également des opportunités. De nouveaux secteurs économiques apparaissent, avec de nouveaux emplois et de nouvelles possibilités d’investissement. Ce n’est qu’en reconnaissant et en saisissant ces opportunités que l’on pourra rester un centre financier attractif à l’avenir.

François Benoy est député (déi gréng). Il est président de la commission parlementaire de l’environnement et membre de la commission des finances et du budget.

Article publié au Luxemburger Wort, le 11 février 2022

[1] Cour des comptes européenne (2021) Rapport spécial – Finance durable
[2] BCL (2021) Revue de stabilité financière 2021
[3] CSSF (2021) Thematic review on Issuers’ climate & environmental related disclosures, 2021 Report
[4] Zeb, Morningstar, ALFI (2021) European Sustainable Investment Funds Study 2021
[5] Ibid.
[6] 2° investing initiative (2020) Pacta Assessment – November 2020 Report